Détail d’un vase grec à figures rouges

Réinventer le texte fondateur de L’Odyssée d’Homère pour s’en amuser : un pari osé !

Figure de fascination bien ancrée dans nos imaginaires collectifs, Ulysse est le héros d’un périple en forme de chemin buissonnier interminable. Animés par l’envie commune de faire du théâtre autrement, Flavien Bellec et Etienne Blanc ont décelé dans l’épopée homérique non pas le potentiel spectaculaire mais bien son contraire, un anti-héros passé maître dans la ruse et la faculté de faire récit de sa propre expérience pour se faire mousser. L’attraction ici se niche dans l’aura de la parole, outil marketing avant l’heure pour vendre son image et sa valeur à qui se suspend à son flot. Cet angle d’attaque permet à l’équipe de Frenhofer de créer la distance nécessaire avec leur sujet. L’intrigue est déconstruite, l’imposteur démasqué, la fresque minimale et débarrassée de ses fantasmes, le public assiste à une contestation théâtrale décomplexée. Et dans les interstices, c’est promis, on rit !

Flavien Bellec et Etienne Blanc adorent brouiller les pistes ou en tout cas emprunter des chemins dramaturgiques franchement tortueux. Ils se disent « tous deux animés par le désir d’allier théories esthétiques et désirs distractifs, ils s’intéressent notamment au processus créatif comme première source de fiction. » À partir de leur Ulysse, ils ont construit un spectacle ou un non-spectacle qui vise davantage à interpeller leurs spectateurs sur les mécanismes de domination culturelle qu’à relater une épopée. Pourtant, comme avec l’un de leurs précédents spectacles Poil de Carotte, Poil de Carotte, nous sommes amenés d’une certaine manière à voyager, notamment d’une culture à l’autre, d’une place sociale à l’autre. La compagnie Frenhofer nous emmène sur le fil de l’acceptable et du non-acceptable, sans toutefois verser dans le choquant ou la provocation crue. Ils titillent le spectateur, ses instincts les plus bas, mais celui-ci osera-t-il rire du personnage ?

Et si Ulysse n’était pas celui que l’on croit ? Le héros de l’Odyssée n’était peut-être qu’un imposteur capable de mener en bateau son auditoire. L’errance du héros grec devient celle d’un spectacle qui se cherche, l’épopée antique le canevas décousu des affres de la création artistique. Animés par l’envie commune de faire du théâtre autrement, Flavien Bellec et Etienne Blanc déconstruisent l’image du héros grec avec un goût certain pour l’humour, le doute et la tentative. Entre stand-up mythologique, marionnettes bon marché et performance méta-théâtrale, cet anti-spectacle joue de la crise et du tâtonnement pour mieux nous libérer des carcans narratifs et du poids des chefs-d’œuvre. Marie Plantin – Télérama