Ci-gisait Cyrano

Cyrano c’est l’histoire de celui qui gâche sa vie. Cyrano, c’est celui qui a tout pour réussir, qui est aimé de tous et qui pourtant sombrera inéluctablement par mésestime de lui-même et par orgueil. C’est aussi celui qui se plaint alors qu’il a tout. C’est le héros romantique du Moi tout-puissant face au reste de l’univers. Il se dresse devant ce monde qui ne lui convient pas, ne veut ni se laisser porter par lui, ni le subir. Et puisque – pense-t-il – on ne peut avoir ici-bas d’autre destin que funeste, il faudra tâcher de maîtriser sa chute, comme l’unique chose qui nous appartienne vraiment. « Vivre est passivité, mettre fin à ses jours est acte » disait Camus, alors Cyrano adopte une stratégie de suicide à petit feu, la lente agonie orgueilleuse du désespoir amoureux et de l’exclusion sociale.
« Si Molière est l’auteur dramatique français le plus monté au monde, Cyrano de Bergerac est la pièce la plus représentée depuis sa création. Pourtant, si nous sommes nombreux à en avoir vu diverses adaptations scéniques, s’il est vrai que la pièce a intégré les programmes scolaires… ne nous y trompons pas : ils sont encore nombreux ceux qui n’en connaissent que des bribes, quelques expressions ou tournures de phrases tombées dans le bagage culturel élémentaire. Transmettre Cyrano, aujourd’hui ou demain, n’est jamais chose inutile. C’est permettre à une œuvre poétique de 1897 de passer de génération en génération, emmenant avec elle un jeu avec la langue et le vers, une certaine idée du grand siècle et plus largement de la grandeur, un goût pour le théâtre et sa mise en abîme… grâce à des vecteurs attachants et consensuels : la beauté, la jubilation et la tendresse. Que l’on se rassure : il y aura une démarche dramaturgique, une réflexion scénographique, des choix esthétiques… et l’on justifiera tout avec esprit. Mais il faut bien le confesser : je monte Cyrano de Bergerac parce que cela me fait plaisir. Et que le plaisir est communicatif. Je m’y engage : pas un spectateur ne piquera du nez… pas un élève n’aura le nez en l’air ! » Angelo Jossec – metteur en scène